MARTINE DE BÉHAGUE, COMTESSE DE BÉARN : TÉMOIGNAGE par Laure Stasi :

« Nous avons eu la bonne fortune de rencontrer le fils de Paul  Valéry (1871 – 1945), le regretté François Valéry (1916 – 2002) qui évoqua une seule fois la mémoire de son amie quand il avait quinze ans, Martine de Béhague, enfin débarrassée de son nom marital : Béarn ! Adolescent, il la rencontrait très souvent. Elle l’emmenait même avec elle dans d’intrépides courses. Martine conduisait sa luxueuse Delage avec entrain tout comme elle faisait augmenter l’allure de son yacht durant ses longs périples artistiques. Elle était toujours gaie et pleine d’allant selon François Valéry.

Il ne l’avait  connu que tardivement et ignorait en 2001 qu’on la jugeait triste et même tragique dans sa jeunesse, après la mort de ses deux parents et sous la tutelle d’un autre, breton et bravache, James Montjaret de Kerjégu. Après un mariage désastreux, elle ne connut pas de fort beaux amants pour épater la galerie mais peut-être que le seul amant de sa vie fut l’ anglo-saxon Robert Douglas (1875 1939), un prétendu ancien diplomate  devenu aquarelliste qui mourut quand elle s’éteignit. C’est vrai qu’à 15 ans, François Valéry avait connu une autre Martine, celle des années 1930. Avec la maturité, selon nous, elle était devenue plus fantasque et détachée car il y avait de la profondeur en elle. Elle aimait en effet l’art mais son esprit était loin de toute futilité ainsi que François Valéry nous en avait avertie. Le disait-il avec son père Paul ? « En effet. » Que reste-t-il des conversations au sujet de Martine qu’il nous appris avoir eu avec son père ? François Valéry aborda son caractère comme étant « janséniste » c’est-à-dire sévère, montrant une vertu austère. Le terme vient selon moi du fils autant que du père, Paul Valéry, à la plume fascinante, aube d’une nouvelle ère ! Martine était volontaire, inventive et imaginative, intelligente mais excessive en toutes choses ? Selon François Valéry, elle aimait aussi la provocation et le paradoxe.

Au sujet de sa vie artistique, ce que m'a dit le regretté François Valéry reprend pour l’essentiel ce que disent les archives. A l’hôtel de Sully, la comtesse Martine de Béhague fit   enlever nombre des ateliers appartenant à des marchands. Une visite de la comtesse avec François Valéry – le souvenir était encore vif - dans ce lieu unique tourna à la mésaventure puisqu’ils découvrirent le cadavre d’un     locataire peu enviable, décédé de la petite vérole, un corps enchâssé entre quatre planches après avoir vécu en tirant le diable par la queue dans des murs  au passé serein. Les témoignages établissent en effet que le bâtiment partait à vau-l’eau. Son propre hôtel particulier– Hôtel de Béhague-Béarn ou Palais, quel que soit son nom – était à l’opposé car lieu d’orgies magnifiques. Parmi les grands dîners  de soixante couverts l’un d’eux fut présidé par l’écrivain Maurice Baring (1874 – 1945). Sur la nappe blanche, des   objets de corail et des trainées de paprika , des salières et poivrières en or du XVIIIe siècle se plaçaient et se déplaçaient auprès des invités dans un ballet savamment orchestré… François Valéry se souvenait également des tapis utilisés à la fois comme des oriflammes constituant un décor oriental dans la Salle byzantine mais ayant également  un rôle acoustique résolvant « la bouillabaisse de sons » (le terme était aussi dans la correspondance) quand le maître de chapelle byzantine Widor jouait, par exemple, de l’orgue devant ces parois sonores. Martine, elle, était toujours magnifique, que ce soit à la ville – François Valéry se rappelait d’une cape en plumes bleues  de coq à l’Opéra - comme dans l’intimité avec  ses pyjamas taillés dans des étoffes somptueuses et   bigarrées. Excentrique , bien sûr, intelligente donc, cependant François Valéry la disait avec justesse « janséniste ». Nulle contradiction car Martine  était riche de sentiments dissonants selon moi, sa biographe reconnue depuis 1996-7 etc. Elle fut à la fois sérieuse et sincère, sensible et intelligente. Elle avait fait construire dès 1924 par René Darde (1883 – 1960) la villa La Polynésie (vendue mais quelques traces d'elle y perdurent) sur  ses propres plans tracés un soir sur une plage selon ce qui nous a été  confié par le fils du poète, lequel s’y promena fréquemment ensuite. Elle allait aussi régulièrement à Capri et y retrouvait des amis. Enfin, même s’il n’était pas là, François Valéry évoqua la dernière heure de son amie durant l’hiver 1939. Il nous assura qu’elle était morte paisiblement. Dans son testament, elle laissa au jeune homme 50 000 francs pour preuve de son attachement.

François Valéry parla d’elle pour la première fois avec moi me dit-il. Ma lettre l’avait surpris mais il avait eu le temps de réfléchir au vocabulaire maîtrisant le sujet. Qui la  connaissait en dehors de sa famille et des historiens de l’art sachant que des ventes formidables déménagèrent des œuvres vers la France depuis Monaco grâce aux Ganay ? Ceux-ci ont laissé partir les chefs-d’œuvres qui ne pouvaient plus rester en collections privées selon la marquise Philippine de Ganay, née de Poix de Mouchy de Noailles. Marie-Laure était sa tante. Mais, après sa mort, plus personne ne se soucia de Martine de Béhague elle-même ?  François Valéry  résidait dans les Yvelines et vivait à Paris. Du côté de Versailles, après un vieux portail rouillé et sali pour dissuader les cambrioleurs selon François Valéry, un bouquet de fleurs peintes sur un chevalet vous accueillait dans la lumineuse pièce du bas et ses divans.  De qui était cet odorant vase de fleurs ? Il était à l’autre bout du divan, trop loin pour mes yeux et mes narines.  Etait-ce le Manet de son père c’est-à-dire une œuvre à la pâte épaisse représentant un bouquet de pivoines et un collier de perles au premier plan ? Un homme eurasien en livrée jaune et noire comme dans Tintin à Moulinsart s’éclipsa à l’étage après le service. Il nous reste de cet homme de lettres et de mémoire que sa profonde connaissance de la personnalité de l’amie de son père, et, nous ne mentirons pas, de l’amie de monsieur François Valéry, haut fonctionnaire et homme du monde.  » (Extrait disparu de mon livre publié en 2021, LS/LMS)

COPYRIGHT LAURE STASI/LAURE-MARIE STASI, CHERCHEUR DE NIVEAU UNIVERSIATIRE EN HISTOIRE DE L'ART 

Laure/Laure-Marie Stasi, unique Présidente de l'Association de loi 1901 créée par moi en 2014 à la Préfecture de N. ; Bureau en cours de refonte depuis le décès de Mme ma mère Jo. Stasi-Genevois et le départ des autres membres comme VVT , slaure

 

Date de dernière mise à jour : 15/11/2024

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