Courances, Flammarion, Paris, 2003 : la critique
Les paysages de Courances
Article paru dans l'édition du Monde du 18.04.03
Il y a une mode des jardins en France depuis quelques années, mais ce ne sont pas des jardins qu'on vend, ce sont des images qui n'ont rien à voir avec la protection d'un territoire. » Cette réflexion du paysagiste Pascal Cribier ouvre le volume consacré à Courances, et donne le ton de cet ouvrage collectif. Il ne s'agit pas ici de célébrer par quelques belles cartes postales l'un des plus beaux parcs de l'Ile-de-France, mais d'essayer de saisir le génie du lieu, de comprendre ce qui fait l'intérêt d'une telle création étalée sur plus de cinq siècles.
Si dans ce livre l'image joue pourtant un rôle capital, nous sommes loin icides photographies nostalgiques qui évoquent un temps suspendu, une sorte de paradis perdu. A Courances, le temps ne s'est pas arrêté. En dehors d'un court portfolio au début de l'ouvrage, les photos, souvent groupées en mosaïques, sont considérées comme des documents ou des témoignages, au même titre que l'archive, la gravure, le plan ou la carte. Comme eux, elles renvoient directement aux textes en les complétant.
Une trentaine de contributions ont été demandées par les maîtres d'ouvrage, Valentine de Ganay et Laurent Le Bon. Les études concernent le paysage (Daphné Charles), le parc (Monique Mosser), l'architecture du château (Alexandre Gady), la statuaire (Edouard Papet et Guilhem Scherf), le jardin japonais et le potager (Jérôme Coignard). Le problème de l'eau qui sature le domaine est analysé par trois chercheurs (Françoise Boudon, Lynda Frenois et Christian Martin). Il n'y manque ni un aperçu sociologique (Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot) sur les visiteurs de Courances et leurs rapports avec les actuels propriétaires ni un essai littéraire (Annie Le Brun) sur la proximité du Surmâle, le roman d'Alfred Jarry, avec le château.
Surprenante beauté
Laure Stasi traite de la personnalité de Samuel de Haber, acteur de la renaissance de Courances à partir de 1872. Sont également évoqués les problèmes liés à l'entretien d'un tel parc, ou l'histoire événementielle du domaine, notamment ses quinze années d'occupation par les armées allemande puis américaine.
Courances vaut-il un tel travail ? Sans doute. On ne rappellera jamais assez la surprenante beauté de ce parc situé à une soixantaine de kilomètres de Paris, non loin de Fontainebleau. Une beauté minimaliste à base d'eau, d'herbe, d'arbres et de pierres. C'est aussi un site tissé d'une longue histoire sans cesse reprise par ses propriétaires successifs : depuis le XVIe siècle, l'architecture du jardin et des bâtiments ne va pas cesser d'évoluer, chaque génération laissant une strate supplémentaire - que l'on peut aujourd'hui déchiffrer - sans que l'ensemble perde de sa cohérence.
L'ouvrage permet de liquider quelques idées reçues. Non, le parc ne doit rien à Le Nôtre. Oui, Henri et Achille Duchêne, les deux grands paysagistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, sont beaucoup intervenus dans le tracé de l'actuel jardin. Mais ils ont été précédés par un architecte, Hippolyte Destailleur (1822-1893), qui a joué ici un rôle capital : on lui doit l'actuelle physionomie de l'édifice avec son appareillage de briques et son escalier en fer à cheval, mais aussi les broderies situées derrière le château.
On mesure aussi l'apport du propriétaire du domaine, Jean-Louis de Ganay, qui a considérablement simplifié Courances - pour des raisons techniques d'entretien, affirme-t-il aujourd'hui. Mais la suppression de la plupart des allées, remplacées par un tapis d'herbe élastique, la taille si particulière des haies et le traitement des grands arbres ont fait basculer ce parc géométrique dans une modernité que n'avait peut-être pas méditée son propriétaire, qui a signé là un jardin du XXe siècle.
Emmanuel de Roux